Le Maroc s’est engagé dans une trajectoire ambitieuse de développement durable, avec un objectif de -45,5 % d’émissions de gaz à effet de serre d’ici 2030 et la neutralité carbone à l’horizon 2050. Le secteur des transports, à lui seul responsable d’environ un quart des émissions nationales, est aujourd’hui au cœur de cette transformation.
Mais la mobilité ne se résume pas à un enjeu énergétique : elle conditionne l’accès à l’emploi, la cohésion territoriale et la qualité de vie urbaine. Dans un pays où la croissance urbaine s’accélère et les distances s’allongent, elle devient un vecteur d’équilibre entre durabilité environnementale et attractivité des territoires.
Reste à savoir : où en est réellement la transition vers une mobilité durable au Maroc ? Et comment cette mutation redessine-t-elle le visage des villes et régions du Royaume ?
Un cadre national en évolution : de la stratégie climat à la planification urbaine
Portée par ses engagements climatiques et sa stratégie bas carbone, la politique marocaine de mobilité durable s’inscrit désormais dans une approche intégrée, reliant transition énergétique, planification urbaine et aménagement des territoires.
Des engagements structurants
La mobilité durable s’inscrit aujourd’hui au croisement des politiques climatiques, énergétiques et territoriales du Maroc.
Depuis la Stratégie Nationale de Développement Durable (2017), plusieurs cadres sont venus renforcer la planification :
- la Stratégie nationale de mobilité urbaine durable (SNMUD) ;
- la Stratégie bas carbone 2050, alignée sur les ODD 11 et 13 ;
- les feuilles de route sectorielles (transport routier, ferroviaire, logistique).
Le Conseil Économique, Social et Environnemental (CESE), dans son rapport La mobilité durable : vers des moyens durables et accessibles, rappelle que le pays ne part pas de zéro : les investissements massifs dans les transports publics (tramways, autoroutes, port Tanger Med) ont déjà modifié les dynamiques territoriales. L’enjeu réside désormais dans la cohérence entre infrastructures, usages et transition énergétique.
Le rapport Decarbonising Morocco’s Transport System de l’ITF souligne quant à lui que la décarbonation du transport marocain pourrait réduire les émissions du secteur de 40 % d’ici 2050, à condition d’accélérer trois leviers : électrification, optimisation logistique et mobilité urbaine intégrée.
La territorialisation des politiques de mobilité
La durabilité de la mobilité se joue d’abord à l’échelle des territoires. Le Plan de Mobilité Urbaine Durable (PMUD, 2023), publié par la Direction Générale des Collectivités Territoriales, fournit un cadre méthodologique inédit pour les collectivités.
Il incite à articuler les politiques de déplacement avec les documents d’urbanisme (SDAU, plans d’aménagement, plans climat).
Plusieurs villes ont déjà amorcé cette démarche :
- Casablanca, pionnière avec son plan intégré bus–tramway ;
- Rabat–Salé, qui mise sur la multimodalité ;
- Marrakech et Agadir, où la GIZ soutient des projets pilotes de mobilité électrique et active.
Ces dynamiques traduisent une évolution majeure : la mobilité n’est plus une simple réponse à la congestion, mais un outil de structuration urbaine et de cohésion sociale.
Le CESE souligne d’ailleurs que les villes moyennes et les zones rurales doivent devenir la nouvelle frontière de la mobilité durable, pour éviter la concentration des efforts sur les seules métropoles.
Le modèle de l’ITF montre comment la planification urbaine, l’offre de transport et les choix de mobilité interagissent pour déterminer les émissions.
Densité, qualité des services, technologies des véhicules et politiques publiques agissent comme des leviers connectés : modifier l’un d’eux influence toute la chaîne, du comportement des usagers jusqu’à la performance environnementale du système.
Des dynamiques concrètes : électromobilité, transport collectif et mobilité active
La transition marocaine vers une mobilité plus durable commence à se matérialiser. Les initiatives se multiplient, portées à la fois par l’État, les collectivités et des acteurs privés. Trois dynamiques se détachent : l’électromobilité, la modernisation des transports collectifs, et la promotion des mobilités actives.
L’électromobilité prend forme
L’électromobilité s’impose progressivement comme un pilier de la transition du secteur des transports au Maroc.
Selon le rapport GIZ Morocco’s Role in the Global Electro-Mobility Revolution, le Royaume dispose d’atouts industriels majeurs : un mix énergétique largement renouvelable, une base automobile compétitive et une filière de composants électriques en plein essor.
Mais au-delà de la technologie, c’est la structuration du marché et du cadre réglementaire qui déterminera la pérennité du mouvement : normes techniques, incitations fiscales, et intégration dans les plans de mobilité urbaine durable.
Ce scénario de la Banque mondiale illustre la montée progressive de l’électromobilité au Maroc : un marché encore naissant aujourd’hui, mais susceptible de dépasser plusieurs centaines de milliers de véhicules électriques d’ici 2050, sous l’effet combiné des politiques publiques, de l’investissement privé et de la baisse des coûts technologiques.
Des transports collectifs modernisés
Les grandes métropoles marocaines ont engagé une reconfiguration profonde de leurs réseaux. Casablanca et Rabat-Salé étendent leurs lignes de tramway et renouvellent leur parc d’autobus via des contrats de gestion déléguée plus exigeants en matière de performance environnementale.
La WAPPP met en avant la montée en puissance des partenariats public-privé dans le financement et l’exploitation : ils permettent de mutualiser les risques et d’accélérer la transition des flottes vers des motorisations propres.
Mobilités douces et inclusion territoriale
La mobilité active (marche, vélo) reste minoritaire, mais les signaux évoluent.
D’après le CESE, la part des déplacements non motorisés atteint déjà près de 30 % dans certaines villes moyennes, preuve d’un potentiel sous-estimé. Casablanca, Oujda, Essaouira et Agadir ont lancé leurs premiers plans cyclables, souvent adossés à des projets de requalification urbaine.
Ces initiatives répondent autant à un impératif environnemental qu’à un enjeu social : améliorer l’accessibilité des zones périphériques et réduire la dépendance automobile des ménages modestes.
Des freins persistants à la transition
Malgré des avancées notables, la mobilité durable au Maroc se heurte encore à plusieurs contraintes structurelles. La dépendance à la route, la fragmentation institutionnelle et les limites du financement freinent la mise à l’échelle des initiatives locales.
Un secteur encore dominé par le transport routier
Le transport routier demeure le pilier, et le principal défi, du système de mobilité marocain.
Selon le Forum International des Transports, il représente l’écrasante majorité des émissions du secteur, tandis que le rail et l’aviation n’en contribuent qu’à la marge.
Cette domination tient autant à la structure du réseau qu’aux habitudes de mobilité : le transport de marchandises et de passagers reste largement dépendant du diesel, avec un parc vieillissant et faiblement renouvelé.
Le Maroc compte aujourd’hui plus de 3,5 millions de véhicules particuliers, dont la grande majorité ne répondent pas aux normes d’émissions les plus récentes. La congestion urbaine s’aggrave, notamment à Casablanca, Rabat et Marrakech, et la logistique urbaine demeure peu régulée. En dehors des axes autoroutiers structurants, les infrastructures alternatives (rail régional, voies réservées, pistes cyclables) restent limitées.
Ces déséquilibres traduisent une réalité : la décarbonation du transport marocain ne pourra se faire sans diversification modale et sans politiques actives de gestion de la demande (tarification, intermodalité, urbanisme de proximité).
Les scénarios de l’OCDE montrent que sans politiques volontaristes, les émissions du transport marocain continueraient de croître jusqu’en 2050. L’effet combiné de l’électrification, du report modal et de la planification urbaine intégrée pourrait toutefois diviser ces émissions par plus de deux, à condition d’une mise en œuvre rapide et cohérente.
Gouvernance, financement et cohérence territoriale
Le cadre institutionnel de la mobilité au Maroc s’est renforcé, mais il demeure complexe. La gouvernance est souvent segmentée, ce qui complique la planification intégrée à l’échelle des territoires.
Le Plan de Mobilité Urbaine Durable vise justement à corriger cette dispersion, mais sa mise en œuvre reste inégale selon les villes. Le rapport du CESE insiste sur la nécessité d’un pilotage transversal reliant les politiques de transport, d’aménagement urbain et d’énergie.
Côté financement, les instruments restent encore limités : si quelques projets bénéficient de prêts concessionnels ou de fonds verts, la majorité repose sur des budgets publics locaux contraints.
Les recommandations de l’ITF soulignent l’urgence de mobiliser la finance climatique et les partenariats public-privé (PPP) pour soutenir les infrastructures bas carbone, notamment pour la mobilité électrique et le fret ferroviaire.
Un enjeu d’équité territoriale
La durabilité du système de transport ne peut se concevoir sans équité territoriale. Les villes moyennes et les zones rurales, souvent oubliées des grands programmes de mobilité, cumulent faible accessibilité, coûts élevés et dépendance énergétique.
Or, ces territoires concentrent une part croissante de la population et jouent un rôle clé dans la cohésion nationale. Une approche véritablement durable devra donc intégrer la mobilité interurbaine, les dessertes périurbaines et les transports à la demande, encore embryonnaires au Maroc.
Un écosystème en construction : vers une mobilité à l’échelle des territoires
La transition vers une mobilité durable au Maroc ne repose pas uniquement sur des politiques publiques : elle se nourrit aussi d’un écosystème d’acteurs de plus en plus structuré. Industriels, opérateurs, startups, bailleurs et collectivités locales commencent à former un tissu cohérent, où la mobilité devient un champ d’innovation technique et territoriale.
Des initiatives locales inspirantes
Dans plusieurs villes, les projets de mobilité se lient désormais à des stratégies urbaines de long terme.
À Agadir, un projet pilote soutenu par la GIZ explore depuis 2021 l’intégration des énergies renouvelables dans les systèmes de transport urbain. Ce programme, intitulé Sustainable Mobility with Renewable Energies in Morocco, vise à développer des plans de mobilité bas carbone, à renforcer les capacités locales et à tester des solutions de recharge solaire et de mobilité électrique à petite échelle.
À Marrakech, la flotte de bus électriques mise en service à l’occasion de la COP22 a constitué une première au Maroc. Si l’expérimentation a rencontré des difficultés techniques, elle a permis de préparer le terrain pour les politiques actuelles d’électromobilité urbaine et d’inspirer d’autres villes dans la mise en place de flottes plus propres.
Tanger Med, enfin, s’impose comme un pôle logistique bas carbone : électrification progressive des opérations portuaires, rationalisation du transport de marchandises et raccordement ferroviaire renforcé.
Ces initiatives traduisent une même logique : la mobilité durable devient un levier de transformation territoriale, à l’intersection de l’énergie, de la planification et de la logistique.
Le Maroc, hub régional de la mobilité bas carbone
Au-delà du territoire national, le Maroc s’affirme comme un acteur de référence en Afrique.
D’après l’Africa E-Mobility Report 2025, le Royaume fait partie des marchés prioritaires pour le déploiement de l’électromobilité. Son positionnement industriel (fabrication de câblage, assemblage de bus électriques, production d’énergie verte) lui confère un avantage stratégique pour devenir fournisseur régional de solutions de mobilité bas carbone.
Les perspectives ouvertes par la Zone de libre-échange africaine (ZLECAf) renforcent cette ambition : le Maroc pourrait exporter ses savoir-faire techniques et institutionnels (plans de mobilité, régulation des flottes, PPP) à d’autres pays africains.
Cette capacité d’entraînement fait de la mobilité un champ d’innovation territoriale, industrielle et diplomatique à la fois.
Le Maroc a posé les fondations d’une véritable transition vers une mobilité durable : stratégies nationales, cadres territoriaux, premiers projets électriques et programmes pilotes. Mais entre ambition et réalité, un fossé subsiste : la dépendance routière reste forte, les financements encore dispersés et la coordination institutionnelle inégale.
La prochaine étape consistera à territorialiser la transition, en faisant de chaque plan de mobilité un levier d’aménagement, de cohésion sociale et de compétitivité locale.
C’est à cette échelle, celle des villes, des régions et des corridors logistiques, que la mobilité durable peut devenir un moteur d’équilibre entre développement et décarbonation.
Bibliographie des principales sources utilisées pour la rédaction de cet article :
- La mobilité durable : vers des moyens durables et accessibles, CESE, 2021
- Decarbonising Morocco’s Transport System, Charting the Way Forward, OCDE, 2021
- Plan de Mobilité Urbaine Durable, Direction Générale des Collectivités Territoriales, 2023
- Morocco’s Role in the Global Electro-Mobility Revolution, GIZ, 2024
- Africa E-Mobility Report, Africa e-mobility Alliance, 2025
